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Dessin de Philippe Brasseur_

Sapiens

 

 

Si nous retournons dans le passé de l’artiste et nous en tenons aux faits et à sa personnalité propre en tant que Personne Humaine, nous voyons que nous avons là une artiste sensible depuis toujours aux attitudes humaines, qu’elle aime contempler, analyser, schématiser, et qui -peut être- est fascinée par cette observation, plus que par une quelconque explication des gestes observés. Cette artiste là regarde et constate avant toute chose, et peut être son propre regard, et l’image qui en découle, est –il lui aussi un sujet d’études et d’observation.

Il est bien connu que, parfois, l’observateur influence l’expérience, et dans ce cas, on peut se dire que l’expérience porte aussi bien que l’observation proprement dite que sur l’objet observé.

 

Quoi qu’il en soit –et c’est là je pense un élément important- son regard est toujours un regard extérieur. Cette artiste là observe à distance, elle ne fait pas partie de la foule qu’elle scrute, et elle regarde de loin les gens dont elle fait des clichés.

L’humanité observée est donc toujours une humanité « autre », et l’autre est bien souvent une image déformée de soi –même, sinon une pure interprétation sujette à sa propre manière de voir les choses. Peut être dans notre cas, l’artiste a-t-elle une conscience profonde de la déformation qui résulte de l’observation personnelle, et cette déformation fait peut –être partie de son travail même.

 

Par ailleurs, l’artiste a une âme de collectionneuse, et se refuse à jeter. Elle essaie de manière naturelle, spontanée, de conserver des traces, de collecter les objets, de les ramasser puis de les amasser. Comme tout collectionneur, le Chaos la guette, la perte d’objets est un risque toujours présent. Il y a donc un besoin réel de structurer les choses, de classifier les objets, les événements, d’ordonner, aligner, ordonnancer de manière précise.

Certaines personnes naturellement très désordonnées sont alors fascinées par le classement des choses, par un ordre à créer dans un monde tourbillonnant et instable.

De là à penser que l’art peut aussi être une manière de structurer sa vie, il n’y a qu’un pas.

 

L’entomologiste épingle les choses mortes, l’artiste voit la vie dans l’épingle même, et fait que celle –ci donne du mouvement, crée des directions, parodie ou ressuscite la vie et ses pulsations.

Certains insectes disparus n’existent plus que dans une boite… l’écrin est alors devenu le dernier souvenir, la dernière trace concrète de son existence.

 

L’artiste pourchasse l’Humanité avec son appareil photo, elle en nourrit son art, en fait sa matière première, son médium de création. Petits humains simples, fragiles, menus, tous différents donc tous semblables…

Nous avons bien tous une place dans ses boites. Et si pas nous, du moins nos images, nos ombres, nos reflets, ou l’ombre même de ces ombres figées dans le temps, flottant dans les airs sans se poser nulle part. Pourtant encore étrangement vivantes.

 

L’Humain grouille partout, comme dans une fourmilière. Mais l’Humanité, dans nos Cités d’Orgueil de verre et d ‘Acier, ne serait –elle pas en voie de disparition, sans aucun endroit ou se réfugier ?

Si c’est le cas, son ombre reposera dans les écrins de l’artiste.

 

MB

Des Structures des Spécimens des Sapiens

Spécimens

J’ai suivi le parcours de la dame depuis des années, et je retrouve dans son œuvre quelques points communs : depuis le début, elle manifeste un certain plaisir du détournement, de la récupération d’objets perdus, oubliés, inutiles ou futiles…

D’abord des vieux courriers, des factures périmées, des publicités anciennes, des morceaux de dessin et maintenant des vieux fils, des racines desséchées, ensuite on peut remarquer chez elle une certaine fascination de l’image, du reflet qui se déforme et s’éloigne de l’original pour devenir lui-même un objet neuf, AUTRE.

Depuis le début, elle joue sur ces deux tableaux là et met ses couleurs sur des objets en principe oubliés, morts. S’il y a un fil directeur, il est là.


Peut –être est ce là une des faces de l’art : défier la mort, la mettre en échec symbolique, jouer avec pour la déjouer ?

Elle-même voit cependant l’art plus simplement que cela : pour elle, ce ne serait qu’une sorte de clef, un moyen d’ouvrir des portes, de créer des ouvertures, des boulevards même, et de créer des liens. Entrer en lien avec des ficelles ? Tiens tiens…

Pour elle, l’art est une manière de rêver, et elle ne trouve pas cela vraiment sérieux, elle qui veut uniquement nous entraîner dans ses rêves. Expliquer ses rêves, les vôtres ?

 

Mais les nouveaux éclairages, cela lui plait : aller à la base des choses, creuser jusqu’à la racine, puis en donner une autre vue, une seconde lecture, puis une troisième…

On marche il est vrai sur beaucoup de choses enterrées, qu’on ne voit même pas, et lorsqu’on les déterre et les regarde, on pense à autre chose en les voyant, par simple association d’idées, par effet miroir de notre imagination.

Le miroir inverse les choses… Prenons le mort et le vivant : la terre, demeure des morts, est remplie de racines bien vivantes. Arrachez ces racines et elles meurent… leurs poses figées, tordues sont alors bien celles de la mort.

Mais la couleur leur redonne une vie.

Mettre en lumière dessèche donc et tue, et mettre en couleurs suscite, ou ressuscite. Le vivant a alors l’air mort, et le mort semble vivant.

La mort est le domaine de l’ombre et le vivant celui de l’image.

Mais c’est quoi une ombre ? Etre l’ombre de soi –même, qu’est ce donc ? Sans y toucher, on parle là du visible et de l’invisible, de l’unique et de l’infini.

Car pour un seul objet, nous avons une infinité d’ombres possibles, qui changent et bougent avec la lumière. L’ombre a donc sa propre vie, même l’ombre d’un objet mort.

L’image d’un objet par ailleurs est aussi un objet, qui possède donc sa propre ombre.

Cette image est épinglée comme un insecte très fragile, aussi fragile peut être qu’une racine desséchée, entourée de minces fils de couleurs.

C’est fugace tout cela… Tout ne tient qu’à un fil finalement, comme nos vies, Monsieur.

Le fil est ce qui compte, le lien. Faut créer du lien, et cela ne s’achète pas, ne se vent pas.

Le fil est récupéré, donné, recyclé. Réinventé.

C’est tout un art.

Mauro Baccarini

Ingénieur Architect

Comme des bijoux essentiels et intemporels...

Une professionnelle une vraie Madame Laurence Vankerkhove, dite Lorka !
Ses œuvres se trouvent à la mezzanine. Ses pièces réalisées au crochet, exposées comme les voiles déchirées d’un navire sur une mer étale, nous appellent à la patience. Elles semblent nous dire : tracasse, le vent reviendra. Elles nous demandent d’apprécier le temps qui passe.

Chut…en attendant écoutons-le !
Traquer la vie partout, et l’épingler. L’humain, l’homo sapiens, sapiens, espèce en mutation, sinon en voie de disparition, collectionné, épinglé, insecte parmi les insectes. Lorka nous aligne, nous range, non sans une bonne dose d’humour. Les légendes valent le détour. Lors qu’elle écrit par exemple,nous sommes plus chauds que le climat ! Que sous entend-t- elle ? Un esprit mal tourné comme le mien ne peut y voir que des mots grivois. Mais peut-être fait-elle juste référence aux 37° du corps humain. Le mieux ce sera de lui demander. Sur le mur du fond et sur les étals, c’est une autre forme de vie qui est conservée, bien emmaillotés dans des fils de couleurs, des bouts de racines attendent vos regards curieux. Elles peuvent, surtout les grandes, prendre des formes d’humains torturés.
Toutes les œuvres de madame Lorka ou presque sont à regarder avec un certain recul, une bonne dose de deuxième degré. Pour tous ceux qui vont franchir le pas, pénétrer dans son univers, ce sera une source de plaisirs.

Le second degré comme l’indique son statut a la particularité de nous faire rire seulement après un instant de réflexion, instant plus ou moins long, en fonction de son degré d’humour, degré d’humour de l’observateur pas de l’œuvre bien sûr ! Merci madame Lorka les autres, je ne sais pas, mais moi j’aime.
                                                                                                   Frédéric Mazzocchetti

Depuis l'antiquité les racines portent une forte charge symbolique. Qu'on se souvienne de la Mandragore administrée dans l'Antiquité pour chasser la mélancolie et les envies suicidaires. Au Moyen-Âge, cette même Mandragore est réputée pousser en-dessous des arbres à pendus, là où la Terre Mère a recueilli la semence de ceux qui passent de l'autre côté du Voile. Chargée de la puissance de la vie et de la mort, située entre les deux royaumes, celui qui veut la cueillir doit prendre garde. Quel mortel peut en effet déterrer impunément les secrets engendrés dans le sein noir et terreux ? Un traité de 1481, l'Herbarius Apulei, indique que la seule manière de s'y prendre est d'attacher la partie visible de la racine à la queue d'un chien avant d'attirer l'animal vers soi, qu'il se charge donc lui-même de déterrer la plante en tirant ! Et même de la sorte, le pauvre animal ne résistera pas car il faut savoir « que cette racine a en soi une telle puissance divine que, lorsqu'elle est extraite, au même moment, elle tue aussi le chien »


Lorka n'utilise pas d'animaux pour déterrer les racines qui forment la base de son travail mais lestrésors qu'elle exhume n'en sont pas moins grands ni chargés de puissance. Est-ce pour protéger nosyeux profanes qu'elle recouvre ces racines vives d'un manteau ?

 

Les racines terreuses, habillées de couleurs vives, se parent alors d'une vie nouvelle. Tout comme le textile de leurs habits que Lorka ressuscite depuis des fins de bobines censées aller au rebut. La vie entière, la nature, l'univers, nous raconte une histoire depuis la nuit des temps. Histoire de vie, de mort, de visible et d'invisible, de caché qui disparaît avant de venir éclater au grand jour,... Et Lorka se fait pour nous l'une des conteuses de cette histoire immortelle. En toute humilité, l'artiste se fait ici co-créatrice avec le Grand Artiste. En toute simplicité, elle aide cette Nature à s'accoucher d'elle-même d'une manière inattendue, insoupçonnée. En regardant ces
formes singulières, l'on a l'impression que tel un papillon sortant de sa chrysalide, quelque étrange et lumineux insecte va bientôt ouvrir ces fils colorés, déployer ses ailes chamarrées et s'envoler vers un ailleurs...


De la terre aux cieux ou de la Terre au Ciel, n'est-ce pas notre destin individuel et collectif : nous élever de notre condition première, faire croître les trésors cachés dans nos tréfonds intérieurs afin d'ouvrir bien grand nos ailes ?


Mais quel individu ou quelle société pourrait précisément se construire harmonieusement sans racine ? Notre société post-moderne ne se perd-elle pas à force de vouloir trop, trop vite, trop mal ? L'enracinement n'est-il pas une condition pour que la transformation s'opère, pour que la vie puisse éclater ?

 

L'oeuvre de Lorka nous interpelle sur des questions existentielles. Loin d'être figée, elle montre un état intermédiaire entre la nature brute, riche d'un sauvage potentiel et l'accomplissement qui restera à jamais hors d'atteinte.


Parce qu'il touche à des symboles forts servis par une matière vraie et une esthétique d'orfèvre, les racines habillées de Lorka sont comme des bijoux intemporels et essentiels, comme autant de questions posées sur notre nature et notre devenir profonds.

Sebastien Morgan

Historien d'art

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